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11 août 2016 à 20:31 liberation.fr
Nazis, l’inhumanité à perpétuité
Par Aude Massiot

Plus de soixante-dix ans après la fin de la Seconde Guerre mondiale, la traque des derniers criminels du Troisième Reich divise ceux qui ont consacré leur vie à ce combat. The Supreme Court of Canada said Thursday it will not hear the federal government's challenge of a setback in its latest bid to revoke Oberlander's citizenship. As usual, the Supreme Court did not provide any reasons for its decision.

Les chasseurs de nazis espéraient décrocher plusieurs victoires judiciaires cette année. Ils ont dû déchanter. Helmut Oberlander, 92 ans, traducteur pour un escadron de la mort nazi, a remporté le mois dernier un difficile bras de fer face aux autorités canadiennes. La Cour suprême du Canada, où il vit depuis soixante ans, a finalement refusé d’entendre l’appel du gouvernement fédéral, qui souhaitait révoquer sa citoyenneté et l’expulser. Né en Ukraine, il avait, lors de son arrivée dans le pays, caché son rôle. Fin février, Hubert Zafke, médecin SS au camp d’Auschwitz, devait être jugé en Allemagne pour complicité dans la mort d’au moins 3 681 personnes. Le prévenu, 95 ans, n’a pu venir à l’audience à cause de son état de santé, le procès a été suspendu.

Seule victoire : le 17 juin, Reinhold Hanning, ancien chef junior d’un escadron SS à Auschwitz, a été condamné à cinq ans de prison pour avoir participé à l’assassinat de 170 000 personnes. Un autre procès devrait s’ouvrir dans les mois à venir en Allemagne : celui d’Helma Kissner, 92 ans, ex-opératrice radio à Auschwitz (lire notre article).

Poursuivre des individus en fin de vie, pour des crimes commis il y a plus de soixante-dix ans, ne fait pas l’unanimité. «On se retrouve dans les tribunaux face à des criminels qui ont entre 90 et 100 ans et qui occupaient des fonctions subalternes dans les camps, confie Serge Klarsfeld, avocat et historien franco-israélien. On les condamne sans savoir ce qu’ils ont fait exactement, la plupart des témoins de ces crimes sont morts. Et ils écopent de peines légères, que leur état de santé ne leur permet de toute façon pas de réaliser.» Pour cet ex-chasseur de nazis, les individus qui mériteraient d’être poursuivis sont les criminels haut placés dans les instances du IIIe Reich, les cerveaux de cette machine génocidaire, tous morts selon lui.

«Pour lutter contre le négationnisme»

Les chercheurs du centre Simon-Wiesenthal, dont les recherches sur l’Holocauste visent à lutter contre l’antisémitisme dans le monde, ne sont pas du même avis. «Il est primordial de maintenir ces poursuites judiciaires même des décennies après, car le temps qui passe ne diminue pas l’horreur des crimes commis, insiste l’historien israélien Efraim Zuroff, directeur du bureau israélien du centre Wiesenthal. Leur vieillesse ne devrait pas protéger ces criminels de guerre quand eux-mêmes n’ont eu aucune sympathie pour les personnes qu’ils ont tuées ou participé à tuer.» Le chercheur s’appuie sur le droit international pour affirmer que «toute personne ayant commis ou participé à un crime doit être tenu responsable pour celui-ci». Selon lui, même les petites mains, gardes, infirmiers et traducteurs dans les camps, doivent être condamnés. «Nous devons le faire pour les victimes de l’Holocauste et pour lutter contre le négationnisme qui se répand, particulièrement dans les pays d’Europe de l’Est», poursuit Efraim Zuroff.

En 2008, l’Allemagne a changé sa législation pour pouvoir condamner des individus pour leur participation, même passive, à un meurtre de masse, et non plus seulement pour un crime précis. Un an plus tard a eu lieu le premier procès sous cette définition élargie : celui de John Demjanjuk, ex-gardien du camp de Sobibor en Pologne, condamné en 2011 à cinq ans de prison. Le prévenu a fait appel de cette décision, mais il est mort avant que la décision définitive ne soit rendue. «Dans ces procès, on poursuit le crime nazi à travers le criminel, reconnaît Serge Klarsfeld. Les témoignages des prévenus permettent aussi de dévoiler des détails de l’Histoire encore inconnus.»

L’ambiguïté de l’Allemagne

Aux Etats-Unis comme au Canada, où se trouverait une grande partie des derniers nazis encore vivants, estimés à une centaine, les autorités sont beaucoup plus frileuses à condamner. Comme Helmut Oberlander, les présumés nazis y sont poursuivis uniquement sur des questions d’immigration, le but étant de les expulser et de les priver de leur nationalité. L’Allemagne reste, elle, assez ambiguë sur le traitement des nazis condamnés dans des pays étrangers. A plusieurs reprises, comme lors des jugements de Johann Robert Riss et d’Alfred Stark condamnés respectivement en 2011 et 2012 par des tribunaux italiens, les autorités allemandes ont refusé l’extradition des criminels hors d’Allemagne. «C’est purement juridique, les pays refusent généralement d’extrader leurs ressortissants quand les crimes sont commis à l’étranger», explique Christian Ingrao, chercheur au CNRS. Efraim Zuroff attend avec impatience le procès d’Helma Kissner dans le pays. Celle-ci pourrait témoigner d’éléments jamais entendus auparavant. Et si elle est condamnée, le chercheur pourra rayer la seule femme de la liste des nazis les plus recherchés au monde en 2016, selon le centre Simon-Wiesenthal

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