29.09.03 | 13h40 LE MONDE
  Ultime offensive contre les anciens nazis en Autriche
By Joëlle Stolz
 
 

Le magazine "Profil" revient sur les difficultés que rencontre le centre Simon-Wiesenthal à faire juger d'anciens criminels de guerre. Cependant, une liste de 47 noms vient d'être remise aux autorités de Vienne.

Le titre évoque une production hollywoodienne, surtout lorsqu'on sait qu'une prime de 10 000 dollars est offerte à ceux qui sont susceptibles d'aider les justiciers. Mais le sujet ne fait guère recette en Autriche : le centre Simon-Wiesenthal, voué comme son fondateur à rechercher les derniers criminels nazis, a soumis au gouvernement de Vienne une liste de quarante-sept noms d'anciens militaires, soupçonnés d'avoir participé sous l'uniforme allemand, pendant la seconde guerre mondiale, à des crimes contre les populations civiles.
Vingt-trois d'entre eux appartenaient à la division SS Heinrich Himmler, qui s'est illustrée par des massacres de villageois dans la région des Apennins, en Italie. D'autres étaient incorporés dans les sinistres "bataillons de police" qui ont liquidé les ghettos de Pologne et semé la terreur en Ukraine ou en Russie.

Le directeur du centre Simon-Wiesenthal en Israël, Efraïm Zuroff, admet qu'il ignore combien de ces hommes sont encore en vie et s'ils résident en Autriche. Dans un entretien au magazine viennois Profil, il se plaint d'avoir été froidement accueilli par le ministre FPÖ de la justice, Dieter Böhmdorfer, auquel il a remis la liste, que celui-ci a transmise au parquet. Dans quatre cas seulement, il existe des témoignages précis impliquant les anciens militaires dans les tueries perpétrées par leurs unités. Profil, qui consacre un dossier à l'"Opération dernière chance", semble sceptique sur ses possibilités de succès en Autriche. Ses enquêteurs ont pu retrouver trois des quarante-sept ex-militaires de la liste, mais un seul est encore assez lucide pour se souvenir de ces années noires.
Cet "ultime effort" du centre Wiesenthal donne surtout à l'hebdomadaire l'occasion de revenir sur l'attitude des autorités autrichiennes : le dernier procès intenté dans ce genre d'affaire remonte à 1975 et s'était conclu, comme bien d'autres, par un acquittement "faute de preuves".

Ces verdicts indulgents sont la principale raison pour laquelle la volonté politique de poursuivre les criminels a fini par s'éteindre dans l'indifférence générale. "Comme ils n'étaient pas bien perçus à l'étranger, on a préféré renoncer à toute procédure judiciaire", plutôt que de raviver à chaque fois une image peu flatteuse du pays, explique à Profil l'historien Walter Manoschek. Le magazine rappelle que l'Autriche occupée par les Alliés avait tout fait pour "mettre de l'ordre dans sa propre maison" de peur d'y être contrainte par les forces étrangères.

Le premier paragraphe de la loi sur les crimes de guerre, dont s'était dotée la deuxième République, née sur les décombres du régime nazi, spécifiait que l'"obéissance aux ordres"ne pouvait servir d'excuse à des crimes de guerre ou contre l'humanité.

TÉMOINS JUIFS INSULTÉS

Entre 1945 et 1955, des tribunaux populaires formés de magistrats et de simples citoyens ont organisé 137 000 procès pour faits de nazisme. 23 000 ont abouti à des condamnations, dont 43 peines capitales, mais il y eut aussi des acquittements, dans la moitié des cas. Avec la guerre froide puis le départ des derniers soldats alliés s'ouvre une nouvelle période : les nazis sont perçus comme des "combattants contre le communisme" et l'on considère qu'ils ont déjà payé lorsqu'ils ont été prisonniers de guerre en Union soviétique. Aux procès des années 1960 - tel celui de Franz Murer, ancien commissaire du ghetto de Vilna - les témoins juifs sont insultés par le public, qui applaudit l'acquittement, et la presse décrit Simon Wiesenthal, Autrichien originaire de Galicie, comme "observateur officiel d'Israël". La justice autrichienne doit s'y prendre à quatre fois avant de condamner enfin, en 1972, l'ancien adjoint d'Eichmann Franz Novak, qui avait organisé les transports par train dans les camps.

Ce n'est qu'en 2000 que le médecin Heinrich Gross, un octogénaire accusé d'euthanasie sur des enfants, mais longtemps protégé par le Parti social-démocrate, comparaît à nouveau pour meurtre, pendant quelques minutes. Souffrant de démence sénile, selon une expertise contestée, il ne peut plus être jugé.