|
Danny Baz, 55 ans, ex-colonel israélien, raconte dans un livre comment il a participé
il y a vingt-cinq ans à la traque et à la capture d'Aribert
Heim, l'un des derniers nazis en fuite, au sein de la Chouette,
organisation secrète juive américaine. Selon Baz, le «
boucher de Mauthausen » a été exécuté en 1982. Pourtant,
Heim est aujourd'hui la cible des chasseurs de nazis.
Pour le monde entier, Aribert Heim, le « boucher de Mauthausen », âgé de 93 ans,
est bien vivant. La police de Baden-Baden, qui a lancé
un mandat d'arrêt international contre lui en 1979, promet
toujours une récompense de 130 000 euros en échange d'indices
menant à son arrestation. En juillet, le ministère de la
Justice autrichien y est allé aussi de sa prime, qui s'élève
à 50 000 euros. On l'aurait même aperçu. En 2005, le très
sérieux Spiegel le signalait en Espagne, près de Getafe.
En 2007, on parle de lui au Chili. Et Efraim Zuroff, qui,
depuis Jérusalem, a pris la relève de Simon Wiesenthal
dans la chasse aux nazis, s'est rendu récemment en Amérique
du Sud sur les traces de Heim, qu'il a placé au deuxième
rang de sa liste de l'Opération de la dernière chance,
lancée en 2002. Bref, ce médecin SS qui pratiquait d'effroyables
« expériences » sur les déportés mobilise encore beaucoup
de monde.
Mais toute cette agitation fait
sourire Danny Baz. Pour cet ex-colonel de l'armée de l'air
israélien, on chasse un fantôme. Il l'affirme et il l'écrit
: il a participé à l'opération qui a mené à sa capture
puis à son exécution, en 1982. C'est cette traque qu'il
décrit dans « Ni oubli ni pardon », à paraître chez Grasset.
Un livre qui risque de déclencher une énorme polémique
entre les chasseurs d'Aribert Heim et l'homme qui, il y
a un quart de siècle, a été de ceux qui l'ont traqué et
capturé.
Du mont Hunter, dans le nord-est
des Etats-Unis, à l'île d'Orléans, au Canada, d'entraînements
paramilitaires en interventions armées sur des lacs ou
dans des hôpitaux, Baz, 55 ans, raconte comment la Chouette,
organisation financée par des Américains rescapés de la
Shoah et rassemblant des anciens de la CIA, du FBI et des
marines, tous juifs, a espionné et finalement kidnappé,
après dix-huit mois, un homme gardé par quelques sympathisants
nazis. Jadis, la traque des nazis a donné lieu à quelques
fictions au cinéma : « Le dossier Odessa », « Ces garçons
qui venaient du Brésil ». Cette fois, même si l'ouvrage
se lit comme un thriller, son auteur jure que chaque fait
est vrai. Tout en ayant bien conscience que, pour seule
preuve, il ne dispose que de ce récit : « Je sais, je pars
avec un handicap. »
Il n'y a personne, ce dimanche
matin, dans le petit hôtel de la rue des Saints-Pères,
à deux pas de Grasset. Personne, sinon cet homme, cheveux
grisonnants, gilet sans manches sur le dos, énorme mallette
à la main, qui débarque à Paris après une nuit blanche
dans l'avion et qui, d'un ton calme, nous explique pourquoi
il a brisé le silence d'une opération gardée secrète depuis
vingt-cinq ans. « J'écris pour ma fille. » Certains membres
américains de la Chouette, qui craignent les foudres de
la justice pour cette exécution évidemment illégale, ont
tenté de le dissuader. Baz est passé outre. « J'ai eu l'accord
du cerveau de l'opération, "John", un ancien membre important de la CIA. » Pendant deux semaines, Baz est même
retourné voir ce « John », qui vit à la frontière canadienne,
pour définir les limites du récit. « Il y a 40 % d'exactitudes.
Ce qui ne veut pas dire que le reste est faux. Ce sont
juste des modifications, pour brouiller les pistes. » Baz,
qui voyage sous un autre nom, est prudent : il craint une
action des organisations nazies. Pour la sortie du livre,
il a écarté toute interview télévisée.
Pure mise en scène ? Pour nous
convaincre, Baz sort une kippa. Dessus, cousue en lettres
blanches, cette inscription : Ordre des combattants du
royaume de David. « C'est la première fois que je la montre
à un journaliste. Nous la mettions lors des réunions de
la Chouette, qui fut créée après l'entrée aux Etats-Unis
de dizaines de milliers d'ex-nazis. » Attestée par les
historiens, cette réalité a subi une inflexion en 1977,
lorsque Washington fonde l'Osi, chargé de pister les entrées
illégales sur le territoire américain. Mais son action
trop limitée frustrait ces juifs qui vivaient avec un puissant
désir de vengeance. « A cela s'ajoute le camouflet de Mengele,
mort libre au Brésil en 1979. Il s'agissait de sauver l'honneur
des juifs. » D'où l'action, clandestine et illégale, de
la Chouette, qui se serait substituée à la justice américaine.
Historiquement, l'explication est donc plausible. Mais
Efraim Zuroff, contacté à Jérusalem, dément : « La Chouette
est une pure invention. » Baz rétorque en exhibant une
revue israélienne, destinée aux familles religieuses, où il est question sur plusieurs
pages de la Chouette. « L'article a été repris par toute
la presse en Israël. » On y voit d'ailleurs Danny Baz poser
devant un hélicoptère. Mais une question surgit. Comment
la CIA ou le FBI n'auraient-ils pas eu connaissance d'une
opération aussi vaste, menée en partie sur leur territoire
? « A mon avis, ils ont laissé faire », estime Baz, qui
ajoute : « "John", qui était chef de département à la CIA, a dû s'occuper des dossiers. »
Mais certains éléments viennent
contredire la thèse de Baz, comme une lettre datée de 1986,
soit quatre ans après son exécution présumée par la Chouette,
que Heim aurait écrite à un ami, et dont Zuroff nous a
parlé. « La lettre à Robert Braun ? réagit aussitôt Baz,
visiblement au courant du dossier. Elle n'a jamais été
authentifiée. Elle n'était pas écrite en bon allemand,
elle était truffée de mots espagnols. » Et Baz d'enfoncer
le clou contre son « rival » Zuroff : « Je l'avais contacté
avant d'écrire le livre. Selon lui, le cas Heim ne me regardait
pas. Mais c'est lui qui s'est accaparé la traque des nazis.
Avant de raccrocher, je lui ai dit : "Moi, j'ai chassé des nazis, toi, tu chasses des documents." » Bien sûr, Zuroff rejette l'idée même du livre de Baz avec force : « Conneries
! » lâche-t-il au téléphone, avant d'ajouter : « Je serais
content de présenter un jour Baz à Aribert Heim. » Même
son de cloche chez Hans-Jürgen Schrad, chargé de la traque
de Heim à la police criminelle de Stuttgart, mais qui se
refuse à toute autre déclaration. « Les Allemands font
semblant de chercher Heim, rétorque Baz. C'est politique.
Ils font du zèle, car ils ont été accusés de ne rien faire.
Heim a tranquillement exercé la médecine à Baden-Baden
jusqu'en 1962, date à laquelle il a échappé à une arrestation
grâce à des fuites . » Baz va même jusqu'à soupçonner une
manipulation de la presse, lorsqu'elle affirme que Heim
est vivant. « Des articles mentionnent que des fonds circulent
sur un compte à son nom. Mais, tant qu'il n'est pas déclaré
mort, sa pension continue à être versée sur son compte
de la Berliner Sparkasse, qui a été bloqué. » Michael Kloze,
procureur à Baden-Baden, est plus vague : « Il y a bien
des mouvements d'argent. Mais nous n'avons pas la preuve que M. Heim ait reçu un seul sou.
Et nous ne savons pas s'il vit et où il vit », ajoute Kloze,
qui déclare qu'il lira l'ouvrage de Baz dès que possible.
Danny Baz, lui, n'exclut pas de
répondre éventuellement aux questions des enquêteurs allemands.
« Mais il faudra qu'ils viennent à Paris ou à Jérusalem.
Pour moi, l'Allemagne n'existe pas. » En tout cas, l'affaire
est lancée et, dans un dernier regard, il cherche à savoir
s'il nous a convaincu : « Je ne peux pas vous donner plus
de preuves. Il faut que je me protège, moi et mes amis.
Ces preuves sont dans un coffre. Je les sortirai avant
de mourir. »
lepoint.fr
|
|