12/09/2016 msn.com
Hubert Zafke et les autres nazis encore vivants iront-ils en prison?
David NAMIAS

Il sera l'un des tout derniers à être inquiété pour des faits remontant à la Seconde guerre mondiale. Hubert Zafke, ancien infirmier soupçonné d'être impliqué dans la mort de 3.681 personnes au camp d'extermination d'Auschwitz et susceptible d'avoir réceptionné le convoi emmenant Anne Frank vers une mort certaine, s'est présenté à son procès ce lundi, à Neubrandenbourg en Allemagne. Rien n'était moins sûr puisque l'audience avait déjà été par trois fois ajournée. La défense de l'accusé avait mis en avant le fragile état de santé de son client de 95 ans.

A l'heure où les derniers procès de nazis encore vivants se multiplient, notamment en Allemagne, une question s'impose: "Pourquoi avoir attendu aussi longtemps juger les criminels nazis?" BFMTV.com a posé la question à deux chasseurs de nazis de premier ordre. Le professeur Efraïm Zuroff, historien, directeur du Centre Simon-Wiesenthal à Jérusalem, et Serge Klarsfeld, avocat qui, avec sa femme Beate, a recherché les anciens nazis pendant des décennies. Bien qu'œuvrant pour la même cause, ceux-ci soutiennent deux conceptions différentes de la justice.

> L'Allemagne veut juger les nazis jusqu'au dernier

"Je me félicite d'avoir œuvré pendant cinquante ans, avec ma femme Beate (militante anti-nazie germano-israélienne, Ndlr), au changement des mentalités en Allemagne", confie Serge Klarsfeld.

Pour lui, le procès qui a repris ce lundi illustre le fait que "les Allemands souhaitent que les nazis soient jugés jusqu'à la fin, jusqu'à la disparition de la dernière personne physique". Ces personnes "ne pouvaient pas être jugées avant. Car, soit elles ont bénéficié d'un non-lieu, soit il n'y a pas eu d'ouverture d'enquête".

"Le plus dur n'est pas de savoir qui sont les anciens nazis qui, souvent, ne changent même pas leurs noms," rappelle Serge Karlsfeld, mais de les relier à des faits précis.

Au Centre Simon-Wiesenthal de Jérusalem, Efraïm Zuroff témoigne qu'une écrasante majorité de témoignages humains imprécis et très peu circonstanciés, sont tout simplement inexploitables et invérifiables. "En dépit de leur gravité, la preuve d'une participation circonstanciée à tel ou tel crime est paradoxalement très difficile à obtenir", précise le professeur Zuroff.

> La Cour fédérale de Karlsruhe n'a pas encore statué

Tout a changé, rappellent cependant les deux hommes, avec la condamnation à cinq ans de prison d'Ivan Demjanjuk, en 2011 par un tribunal de Munich. Avant ce procès, "il fallait prouver de manière spécifique la participation aux crimes pour lesquels un homme était accusé", note Efraim Zuroff. Mais ce gardien de Sobibor a été condamné pour avoir tenu ce poste, sous le chef d'accusation de "complicité de meurtre aggravé".

Depuis, les procès se sont multipliés. Le fait d'avoir servi le Reich à tel endroit (autrement dit les principaux camps d'extermination) et à telle date, mais la règle vaut aussi pour les "Einsatzgruppen" (groupes d'intervention en français) qui massacraient à tour de bras en Pologne et en ex-URSS, suffit à être reconnu coupable. C'est ainsi qu'Oskar Groning, ancien comptable du camp d'Auschwitz, 94 ans, a été condamné de quatre ans de réclusion criminelle en juillet 2015.

Mais, fait remarquer l'avocat Karlsfeld, cette "extension de culpabilité pour participation à une organisation criminelle", mais "sans preuve d'implication personnelle, n'a pas encore été validée par la Cour fédérale allemande". La raison? "Ivan Demjanjuk, est mort avant que son recours devant elle ait eu le temps d'être examiné".

Comme lui, Oskar Groning et Reinhold Hanning (ancien garde d'Auschwitz, 94 ans), ont fait appel de la sentence prononcée à leur encontre.

> Des personnes d'un "âge respectable et absurde"

A l'instar des autres condamnés, le SS Hubert Zafke minimise son implication dans les crimes du IIIe Reich. A la reprise de son procès, il affirme qu'il soignait les soldats blessés et d'autres membres de la SS. En somme, plaide-t-il, un lampiste qui obéissait aux ordres. Passé la légitime indignation, ces cas sont plus complexes qu'il n'y paraît.

Pour Serge Klarsfeld, ces "personnes ont un âge respectable et absurde". Certains, note-t-il, "étaient mineurs au moment des faits puisque la majorité était établie à 21 à l'époque". De fait, les personnes jugées actuellement ont 94 ou 95 ans.

"Ces gens très âgés ont moins la possibilité de se défendre et ils sont condamnés automatiquement. Moi, j'ai toujours constitué un dossier précis", clame l'ex-chasseur de nazis. Aussi, fait-il valoir, "les criminels décisionnaires avaient la trentaine (au moment des faits)", les opposant "aux jeunes qui occupaient des fonctions subalternes". 

Serge Klarsfeld précise avoir arrêté sa chasse aux criminels nazis en 2001, dénonçant "une justice un peu soviétique sur les bords".

> "Les derniers à mériter notre compassion"

Pour Efraïm Zuroff, auteur de Chasseur de nazis (Michel Lafon) et coordinateur de l'Opération Dernière Chance (lancée en 2002 puis ravivée en 2013), la poursuite des nazis ne souffre, au contraire, d'aucune limitation.

"Premièrement", dit-il, "le temps ne change rien à la culpabilité des meurtriers de masse. Nous devons aux victimes d'emmener leurs bourreaux devant les juges. Nous devons envoyer ce message: 'Peu importe le temps passé, si vous avez commis de tels crimes, vous serez jugé un jour'. L'argument d'agir aux ordres ne suffit pas. Si l'ordre donné, comme tuer des innocents, était illégal, vous auriez dû refuser de vous y soumettre'. Enfin, ces gens sont les derniers à mériter notre compassion".

Les deux chasseurs de nazis s'accordent en revanche sur "l'importance de ces procès face à une résurgence des thèses négationnistes".

msn.com