14 septembre 2009 ledevoir.com
«Le docteur de la mort», mort ou vivant?
David Hughes, Doctorant en sciences humaines appliquées - bioéthique au Groupe de recherche MéOS de l'Université de Montréal

Les révélations récentes sur la mort présumée d'Aribert Ferdinand Heim offrent une occasion de revenir sur un épisode important de l'évolution de l'éthique de la recherche biomédicale.

Dans un article du 14 août du Daily Telegraph, la police allemande confirmait qu'une mallette et des documents ayant été découverts au Caire avaient appartenu à Aribert Heim. L'ancien médecin nazi était aussi appelé «le docteur de la mort» ou encore «le boucher de Mauthausen». Cette nouvelle vient raviver le débat autour de la mort présumée d'un des nazis les plus recherchés. Alors que l'histoire des médecins nazis refait surface, il est pertinent de revenir sur cet épisode sombre de la recherche biomédicale et de rappeler ce que nous en avons appris.

En février dernier, une enquête conjointe de la chaîne de télévision allemande ZDF et du New York Times révélait qu'Aribert Heim serait décédé en 1992. La chaîne et le journal annonçaient que le criminel nazi, un des plus recherchés au monde, serait mort d'un cancer de l'intestin en Égypte où il se serait caché depuis près de 20 ans. Cette hypothèse recoupait alors celle de la police allemande, mais était accueillie avec méfiance par le Centre Simon Wiesenthal, une organisation qui se consacre à la recherche de criminels nazis.

En mai, la police allemande changeait son fusil d'épaule et confiait au journal allemand Der Spiegel que, selon leurs analyses, les documents ne constituaient pas une preuve de décès et que les recherches allaient se poursuivre. Enfin, le 14 août, le Daily Telegraph publiait un article dans lequel la police affirme que l'analyse des documents établit hors de tout doute qu'ils avaient appartenu à Heim. De plus, des analyses de poussière prélevée sur la mallette démontraient que cette mallette avait passé plusieurs années en Égypte. Bien que ces dernières informations ne prouvent pas que Heim soit mort, comme le stipulent ZDF et le New York Times, elles confirment néanmoins la thèse selon laquelle il aurait vécu en Égypte. Seule la découverte de la dépouille permettrait maintenant de confirmer le décès.

Cruauté

C'est en Autriche que le docteur Heim a commis des atrocités sur des centaines de prisonniers du camp de concentration de Mauthausen. Après des études de médecine à l'Université de Vienne, il rejoint les SS de Himmler en 1938. En 1941, il devient médecin-chef du camp de Mauthausen. C'est à cette période qu'il pratique des interventions chirurgicales sans anesthésie, prélève des organes sur des sujets vivants et injecte différents mélanges de poison dans le coeur de ses victimes.

Après la guerre, il est condamné pour avoir appartenu à la Waffen-SS, mais ses pratiques médicales criminelles ne sont pas alors révélées. Il est relâché en 1947 et pratique ensuite la médecine dans le sud de l'Allemagne. Lors du procès d'un autre ex-nazi, un témoin identifie Heim comme étant «le docteur de la mort». En 1962, il fuit et disparaît alors que la police allemande est sur le point de l'arrêter.

Heim fut loin d'être le seul médecin nazi à s'être adonné à des expérimentations biomédicales cruelles. Un des procès d'après-guerre à Nuremberg fut consacré aux médecins nazis. Au «procès des docteurs», 20 médecins ont été accusés de crime de guerre et d'expérimentation criminelle. Des principes éthiques ont été développés à cette occasion et forment ce que l'on a appelé le code de Nuremberg. Parmi ces principes on compte, notamment, le consentement libre et éclairé des sujets, la liberté de ceux-ci de mettre un terme à leur participation, la rigueur et la pertinence scientifiques et la minimisation des risques pour les sujets. Ces principes demeurent centraux dans les textes régulateurs contemporains.

De nos jours, malgré d'indéniables progrès, certains observateurs craignent de nouvelles dérives. Par exemple, la conduite d'essais cliniques dans des pays en développement est une pratique à laquelle l'industrie pharmaceutique a de plus en plus recours afin de réduire ses coûts de production. Dans ce contexte, les éthiciens s'inquiètent du respect des normes de sécurité et de la qualité du consentement de personnes particulièrement vulnérables. Ainsi, encore aujourd'hui, bien que l'encadrement éthique de la recherche biomédicale prévienne des dérives de l'ampleur de celles du Dr Aribert Heim et de ses collègues, la vigilance reste de mise.

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