12/08/2013 14h32 CEST huffingtonpost.fr
Nazis : dernière ligne droite pour la traque aux criminels de guerre en Allemagne
Stanislas Kraland

NAZIS - "Me battre contre le temps. C'est mon pire ennemi". Ces mots ne sont pas ceux du hongrois Laszlo Csatari, le criminel de guerre nazi décédé samedi 8 août, quelques semaines avant que ne débute de son procès, mais bien ceux d'Efraim Zuroff, l'un des derniers chasseurs de nazis en activité. Ils rappellent combien le temps s'accélère pour cette poignée d'hommes et de femmes qui, plus de soixante-dix ans après le début de la Seconde guerre mondiale, veulent que justice soit faite.

Directeur du Centre Simon Wiesenthal, à Jérusalem, Efraim Zuroff détient dans son bureau les noms et les dossiers des criminels de guerre qu'il recherche, rayant occasionnellement l'un d'eux de ses listes, comme ce fut certainement le cas au lendemain de la mort de Laszlo Csatari. Une rature souvent synonyme d'échec. Et pour cause, à l'image du criminel de guerre hongrois, décédé à l'âge de 98 ans, ces criminels de guerre sont pour l'immense majorité d'entre eux, des nonagénaires en fin de vie.

Dernière chance

"Operation Last Chance". Opération de la dernière chance, tel est le nom évocateur de la campagne lancée par Efraim Zuroff. Initiée en 2002 sous l'égide du Centre Simon Wiesenthal. Objectif: traduire en justice une soixante d'individus ayant pris part d'une manière ou d'une autre aux meurtres de juifs pendant la Seconde Guerre Mondiale avant qu'il ne soit trop tard. En 2011, les faits rappellent que c'est encore possible, plus de soixante dix ans après le début de la Seconde guerre mondiale.

Un nom en témoigne, celui de John Demanjanjuk, un ancien gardien du camp d'extermination de Sobibor. Son extradition sera suivie d'un procès et d'une condamnation synonyme de justice, le tout dans la ville de Munich, berceau du nazisme. Le Centre Simon Wiesenthal lance alors la phase II de l'Operation Last Chance, dont la dernière campagne a été lancée il y a quelques semaines, en juillet 2013.

"Spät, aber nicht zu spät". "Tard, mais pas trop tard". Tel est le slogan qu'arborent les affiches de la campagne Operation Last Chance. De Berlin à Cologne en passant par Hambourg, elles représentent l'entrée l'entrée du camp d'Auschwitz-Birkenau. Elles rappellent surtout aux Allemands l'existence d'une hotline pour quiconque aurait des informations à partager sur ces anciens nazis, mais aussi celle d'une prime, dont le montant vient d'être doublé: jusqu'à 25.000 euros de récompense pour tous ceux qui aideraient à les retrouver.

Les cibles désignées? Les petites mains de la Shoah: principalement d'anciens memebres des Einsatzgruppen, ces soldats de la SS ou de bataillons de police qui se sont livrés à l'exécution de juifs dans le sillage de l'armée allemande, mais aussi des gardes de camps de concentration et d'extermination. Une soixantaine d'individus en tout.

Une traque internationale

Selon Efraim Zuroff, la prime sert avant tout à faire parler de la campagne. Depuis 2002, le Centre Simon Wiesenthal n'aurait versé qu'une seule récompense, pour la somme de 5.000 dollars environ, les meilleures informations ayant été obtenues sur la base du volontariat.

Si la finalité de cette campagne est de retrouver ces anciens nazis, l'objectif est donc bien d'attirer l'attention, pour mieux mobiliser, au-delà des frontières de l'Allemagne. Car les criminels les plus recherchés ne se trouvent pas à l'intérieur des anciennes frontières du Reich, mais bien à l'étranger.

Au total, Efraim Zuroff estime le nombre d'anciens criminels de guerre à plusieurs centaines, voire plusieurs milliers. "Si l'on regarde de près comment la Solution finale a été mise à exécution, a-t-il expliqué à l'hebdomadaire Der Spiegel, il est clair que le nombre d'individus impliqués est considérable et qu'ils n'étaient pas tous allemands ou autrichiens."

Principal obstacle pour ce chasseur de nazis: les frontières, y compris celles de certaines démocraties. "Aux Etats-Unis et au Canada, on ne poursuit plus les suspects pour un génocide qui n’a pas eu lieu sur le territoire national. Ces derniers ne sont donc accusés que pour avoir menti sur leur passé au moment de leur immigration, avec à la clef une simple déchéance de citoyenneté", a explique Efraim Zuroff à Europe 1.

Barrières

Alors que l'une des affiches de la nouvelle campagne a été installée à deux pas de l'ambassade d'Autriche à Berlin, Efraim Zuroff n'a pas manqué de critiquer le manque de coopération des autorités autrichiennes. "Pendant les trente dernières années, a-t-il déclaré, l'Autriche n'est pas parvenu à faire condamné ne serait-ce qu'un seul criminel de guerre nazi."

L'homme n'est d'ailleurs pas plus tendre avec l'Allemagne. Selon lui, la législation allemande sur la protection des données personnelles, mise en place après la Seconde guerre mondiale, l'empêcherait de retrouver la trace d'anciens criminels de guerre potentiels. "Même si j'avais une liste des gardiens du camp de Treblinka, ce que je ne possède pas, je ne pourrai pas la comparer avec les registres de l'État pour voir s'ils sont toujours en vie."

La justice allemande ne s'est pas montrée plus coopérative quant au sort d'anciens officiers nazis avéré. C'est par exemple le cas du danois Soeren Kam. Selon le Centre Simon Wiesenthal, il servait dans la division SS Viking, et serait responsable du meurtre d'un directeur de journal danois. Alors qu'il vit outre-Rhin, l'Allemagne a refusé par deux fois de l'extrader.

Résultats

Les efforts du Centre Simon Wiesenthal semblent néanmoins porter leurs fruits. En mai, Hans Lipsichs, un ancien gardien du camp de concentration d'Auschwitz entre 1941 et 1945 a été arrêté dans le sud-ouest de l'Allemagne.

Âgé de 93 ans, il a été présenté à été présenté à un médecin qui l'a jugé capable de supporter un emprisonnement, avait alors précisé un porte-parole du parquet de Stuttgart. Hans Lipsichs figurait en 4è position de la liste des criminels les plus recherchés par le Centre Simon Wiesenthal. Selon la justice allemande, une cinquantaine d'autres procédures pourraient suivre.

Pour le directeur du Centre Simon Wiesenthal, le grand âge des accusés ne devrait pas leur permettre d'échapper à la justice. "Le passage du temps n'amenuise en rien la culpabilité des criminels, si l'on devait instaurer une limite chronologique à leur poursuite en justice, ce serait comme affirmer que l'on peut passer s'en sortir même si l'on a pris part à un génocide, ce qui serait moralement inacceptable."

Avec une bonne dose d'ironie, Efraim Zuroff affirmait récemment dans une interview au Nouvel Obs être "le seul juif qui prie chaque jour pour qu'ils [les criminels de guerre, ndlr.] restent en bonne santé et vivants.

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