Ce vieillard aimable et blagueur, c'est l'homme que le centre
Simon-Wiesenthal place aujourd'hui en tête de sa liste
noire des nazis à travers le monde. Localisé (à la suite
d'une dénonciation) en 2006 par Efraim Zuroff, le directeur
du bureau israélien du centre Wiesenthal, Sandor Kepiro
vit à Budapest sous sa vraie identité. Le Hongrois Sandor
Kapiro, 95 ans, nous a reçu chez lui.
Et si son nom ne figure plus sur l'Interphone, c'est à cause, assure son avocat,
de "juifs qui l'ont arraché". Sandor Kepiro, 95 ans, est rentré au pays en 1996, au terme d'un exil de cinquante
ans. Loin de sa Hongrie natale et du beau Danube, la vie
s'écoulait paisiblement à Buenos Aires. Mais le pays lui
manquait. Quand il s'est rendu à l'ambassade de Hongrie pour
évoquer son retour, les fonctionnaires l'ont rassuré. Les
accusations de crimes de guerre étaient oubliées depuis longtemps,
l'ancien capitaine de gendarmerie n'intéressait plus personne.
C'était oublier les chasseurs de nazis qui, enrage-t-il aujourd'hui, "me pourrissent la vie".
Jeudi, il est descendu ouvrir lui-même la porte de son immeuble décati, bâti
en face d'une synagogue... L'homme marche à petits pas et
se tient droit. Il porte un appareil auditif mais pas de
lunettes, ses cheveux sont soigneusement peignés. S'asseyant
dans un fauteuil, il demande d'emblée quelle est l'orientation
politique du journal... Car pour la première fois, Kepiro
a accepté de recevoir des journalistes de la presse écrite.
Il y a du Fanta sur la table basse et de nombreuses photos
de famille sur les étagères. Avant d'en venir aux accusations
proférées contre lui au sujet du massacre de Novi Sad en
janvier 1942, il souhaite rappeler son passé d'avocat puis
son engagement dans la gendarmerie royale. Comme si de rien
n'était, alors qu'en 1944 la Gestapo s'avouera sidérée par
l'efficacité et la violence des forces de l'ordre hongroises,
notamment la gendarmerie, qui déporteront vers Auschwitz
437 000 personnes en trois mois.
Le massacre de 3 000 hommes, femmes
et enfants
"En janvier 1942, nous
avons pris le train, raconte-t-il. On croyait aller en Roumanie,
en fait on allait en Voïvodine, qui fait aujourd'hui partie
de la Serbie. Nous sommes arrivés dans la région d'Ujvidek,
les Serbes disent Novi Sad, qui était occupée par la Hongrie.
Il faisait - 30°C. Il fallait mener une opération contre
les partisans. Nous, les gendarmes, on a rassemblé les gens
dans des maisons et on a contrôlé leurs identités. Ceux que
nous avons identifiés comme des partisans, nous les avons
confiés aux militaires. Et voilà tout."
En Serbie, l'opération des 21, 22
et 23 janvier 1942 figure dans tous les livres d'histoire
sous le nom de "Razzia." En trois jours, soldats et gendarmes hongrois massacrent 3 000 hommes, femmes
et enfants, juifs pour l'essentiel. Au début de l'année 1944,
la justice hongroise condamne à dix ans de prison le capitaine
Kepiro pour sa participation à cette tuerie non validée par
les autorités. Mais le régime est renversé juste après. La
Hongrie devient ouvertement nazie, Kepiro ne purgera jamais
sa peine.
"Ceux qu'il a envoyés à
la mort ont droit à la justice"
S'il n'a rien fait, pourquoi cet exil
de cinquante ans en Amérique du Sud, où tant de nazis ont
trouvé refuge? "Mais pour ne pas finir dans une prison communiste!" Pourquoi ces accusations du centre Wiesenthal? "Pour se faire de l'argent sur mon dos! Je sais ce qu'ils font: ils vont montrer
des photos de la guerre à de riches familles juives pour
les émouvoir et leur prendre de l'argent!" Et ce témoignage d'Andreas B., qui jure avoir vu les gendarmes "frapper les gens et leur tirer dessus"? Le vieil homme s'entête: "Je vous dis que je n'ai tué personne à Novi Sad. Je n'ai pas vu une seule personne
se faire tuer. Et surtout pas de juifs puisque que cette
opération n'avait à voir qu'avec la Résistance. Ceux qui
vous disent le contraire sont des menteurs."
Un éminent historien du Mémorial Yad
Vashem de Jérusalem balaye ces affirmations: "Lors de recherches menées avec Serge Klarsfeld, j'ai retrouvé le nom de Kepiro
dans les archives concernant Novi Sad puis la déportation
des juifs de Kiskunhalas. Kepiro a lui-même supervisé la
Razzia. Il a été condamné deux fois, en 1944 puis en 1946,
cette fois à quatorze années de prison pour crimes de guerre
[ce que son avocat nie]. Il n'avait rien d'un officier ordinaire."
Kepiro n'en démord pourtant pas: "On
fait de Novi Sad une affaire juive alors que ça n'a rien
à voir avec les juifs. Moi qui ai toujours été un grand patriote,
pourquoi mon pays ne me défend-il pas?" La justice, qui argue que les faits se sont produits à l'étranger, n'a pourtant
entamé aucune procédure depuis son retour d'Argentine. D'ailleurs,
malgré les terribles soupçons qui pèsent sur lui, la place
de ce vieil homme est-elle en prison? "Quand vous irez le voir, rappelez-vous que ceux qu'il a envoyés à la mort ont
droit à la justice, avait prévenu Efraim Zuroff. Ne vous
faites pas avoir. Ne vous apitoyez pas sur le vieux monsieur
qu'il est mais gardez bien en tête l'officier qu'il a été."
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