Mardi 26 Mai 2009
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Le plus recherché des anciens nazis
Par Alexandre DUYCK, envoyé spécial à Budapest Le Journal du Dimanche

Ce vieillard aimable et blagueur, c'est l'homme que le centre Simon-Wiesenthal place aujourd'hui en tête de sa liste noire des nazis à travers le monde. Localisé (à la suite d'une dénonciation) en 2006 par Efraim Zuroff, le directeur du bureau israélien du centre Wiesenthal, Sandor Kepiro vit à Budapest sous sa vraie identité. Le Hongrois Sandor Kapiro, 95 ans, nous a reçu chez lui.

Et si son nom ne figure plus sur l'Interphone, c'est à cause, assure son avocat, de "juifs qui l'ont arraché". Sandor Kepiro, 95 ans, est rentré au pays en 1996, au terme d'un exil de cinquante ans. Loin de sa Hongrie natale et du beau Danube, la vie s'écoulait paisiblement à Buenos Aires. Mais le pays lui manquait. Quand il s'est rendu à l'ambassade de Hongrie pour évoquer son retour, les fonctionnaires l'ont rassuré. Les accusations de crimes de guerre étaient oubliées depuis longtemps, l'ancien capitaine de gendarmerie n'intéressait plus personne. C'était oublier les chasseurs de nazis qui, enrage-t-il aujourd'hui, "me pourrissent la vie".

Jeudi, il est descendu ouvrir lui-même la porte de son immeuble décati, bâti en face d'une synagogue... L'homme marche à petits pas et se tient droit. Il porte un appareil auditif mais pas de lunettes, ses cheveux sont soigneusement peignés. S'asseyant dans un fauteuil, il demande d'emblée quelle est l'orientation politique du journal... Car pour la première fois, Kepiro a accepté de recevoir des journalistes de la presse écrite. Il y a du Fanta sur la table basse et de nombreuses photos de famille sur les étagères. Avant d'en venir aux accusations proférées contre lui au sujet du massacre de Novi Sad en janvier 1942, il souhaite rappeler son passé d'avocat puis son engagement dans la gendarmerie royale. Comme si de rien n'était, alors qu'en 1944 la Gestapo s'avouera sidérée par l'efficacité et la violence des forces de l'ordre hongroises, notamment la gendarmerie, qui déporteront vers Auschwitz 437 000 personnes en trois mois.

Le massacre de 3 000 hommes, femmes et enfants

"En janvier 1942, nous avons pris le train, raconte-t-il. On croyait aller en Roumanie, en fait on allait en Voïvodine, qui fait aujourd'hui partie de la Serbie. Nous sommes arrivés dans la région d'Ujvidek, les Serbes disent Novi Sad, qui était occupée par la Hongrie. Il faisait - 30°C. Il fallait mener une opération contre les partisans. Nous, les gendarmes, on a rassemblé les gens dans des maisons et on a contrôlé leurs identités. Ceux que nous avons identifiés comme des partisans, nous les avons confiés aux militaires. Et voilà tout."

En Serbie, l'opération des 21, 22 et 23 janvier 1942 figure dans tous les livres d'histoire sous le nom de "Razzia." En trois jours, soldats et gendarmes hongrois massacrent 3 000 hommes, femmes et enfants, juifs pour l'essentiel. Au début de l'année 1944, la justice hongroise condamne à dix ans de prison le capitaine Kepiro pour sa participation à cette tuerie non validée par les autorités. Mais le régime est renversé juste après. La Hongrie devient ouvertement nazie, Kepiro ne purgera jamais sa peine.

"Ceux qu'il a envoyés à la mort ont droit à la justice"

S'il n'a rien fait, pourquoi cet exil de cinquante ans en Amérique du Sud, où tant de nazis ont trouvé refuge? "Mais pour ne pas finir dans une prison communiste!" Pourquoi ces accusations du centre Wiesenthal? "Pour se faire de l'argent sur mon dos! Je sais ce qu'ils font: ils vont montrer des photos de la guerre à de riches familles juives pour les émouvoir et leur prendre de l'argent!" Et ce témoignage d'Andreas B., qui jure avoir vu les gendarmes "frapper les gens et leur tirer dessus"? Le vieil homme s'entête: "Je vous dis que je n'ai tué personne à Novi Sad. Je n'ai pas vu une seule personne se faire tuer. Et surtout pas de juifs puisque que cette opération n'avait à voir qu'avec la Résistance. Ceux qui vous disent le contraire sont des menteurs."

Un éminent historien du Mémorial Yad Vashem de Jérusalem balaye ces affirmations: "Lors de recherches menées avec Serge Klarsfeld, j'ai retrouvé le nom de Kepiro dans les archives concernant Novi Sad puis la déportation des juifs de Kiskunhalas. Kepiro a lui-même supervisé la Razzia. Il a été condamné deux fois, en 1944 puis en 1946, cette fois à quatorze années de prison pour crimes de guerre [ce que son avocat nie]. Il n'avait rien d'un officier ordinaire."

Kepiro n'en démord pourtant pas: "On fait de Novi Sad une affaire juive alors que ça n'a rien à voir avec les juifs. Moi qui ai toujours été un grand patriote, pourquoi mon pays ne me défend-il pas?" La justice, qui argue que les faits se sont produits à l'étranger, n'a pourtant entamé aucune procédure depuis son retour d'Argentine. D'ailleurs, malgré les terribles soupçons qui pèsent sur lui, la place de ce vieil homme est-elle en prison? "Quand vous irez le voir, rappelez-vous que ceux qu'il a envoyés à la mort ont droit à la justice, avait prévenu Efraim Zuroff. Ne vous faites pas avoir. Ne vous apitoyez pas sur le vieux monsieur qu'il est mais gardez bien en tête l'officier qu'il a été."

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