Depuis le début du procès d'Ivan Demjanjuk à Munich ce mois-ci,
le prochain sur la liste des traqueurs de nazis n'est autre
que Sandor Képiro, ancien capitaine de la gendarmerie hongroise.
Il est accusé d'avoir dirigé la razzia de Novi Sad de son
propre chef, trois jours durant en janvier 1942. Ironie
du sort, après 50 ans d'exil en Argentine, Képiro, 95 ans,
vit depuis 1996 dans la quiétude du 2ème arrondissement
de Budapest, juste en face de la synagogue Léo Frankel.
La razzia de Novi sad
Juste avant l'Holocauste, la capitale
de Voïvodine traversée par le Danube comptait 4000 juifs
parmi ses 80000 habitants. Le 21 janvier 1942, l'administration
d'Hitler n'a même pas eu besoin de faire pression sur les
autorités hongroises ou serbes pour que l'extermination des
juifs, des tziganes et de certains autres serbes commence
à Novi Sad. Au contraire, c'est Budapest qui va mettre un
terme au massacre deux jours plus tard et condamner les responsables
en 44, dont le plus gradé d'entre eux, Sandor Képiro. C'est
une petite rébellion de la communauté juive de Novi Sad qui
a servi de prétexte à la vague d'arrestations individuelles,
de tortures et d'exécutions menées par la gendarmerie hongroise
et un régiment de l'armée serbe. Pendant trois jours, la
répression a gagné les rues de la ville, mais elle s'est
rapidement concentrée sur les bords du Danube gelé, où ont
été jetés les corps de plus de 1200 victimes.
Les premiers procès
Lors de son premier jugement Képiro
affirme avoir demandé une preuve écrite de l'ordre donné
par son commandant. Aujourd'hui encore, c'est sa seule ligne
de défense face à l'accusation d'avoir pris l'initiative
isolée d'organiser des rafles meurtrières massives. En 1944,
le tribunal militaire le dégrade et le condamne à dix ans
de prison, mais il va échapper à sa peine. Quelques semaines
après son procès, les allemands envahissent la Hongrie, cassent
le verdict et réhabilitent Sandor Képiro. En 1946, alors
qu'il est exilé à Buenos Aires depuis la fin de la guerre,
la justice hongroise, sous le régime communiste, le condamne
à 14 ans de prison. Ce n'est qu'à la chute du bloc soviétique
qu'il reviendra au pays.
Un dernier procès embarrassant
Lorsqu'il lui arrive d'être à nouveau
interrogé, Képiro continue à nier en bloc sa responsabilité,
en affirmant qu'il n'a fait qu'obéir aux ordres de sa hiérarchie.
Il n'a cependant jamais nié avoir participé au massacre,
au contraire, des témoins auraient rapporté qu'il s'en vante.
Depuis septembre dernier, la Serbie a réclamé son extradition.
Il a été entendu par la justice hongroise le 14 septembre
dernier, mais aucune procédure n'a encore été lancée, comme
si ses deux premiers jugements n'avaient aucune valeur. La
justice hongroise prend ostensiblement son temps pour étudier
le dossier: deux ans pour décider si Képiro doit être jugé.
Avec un peu de "chance" , Képiro sera peut-être mort d'ici-là et la Hongrie évitera de remettre son
antisémitisme vicéral sur le devant de la scène. La collaboration
hongroise est d'autant plus difficile à assumer que les arrestations
et les déportations ont bien plus souvent été l'oeuvre de
la gendarmerie hongroise que de la Gestapo elle-même.
Le protégé du quartier
Pour un chasseur de nazis chevronné
comme Efraïm Zuroff, le directeur du centre Simon Wiesenthal,
Sandor Képiro est le dernier gros poisson à capturer. Pourtant,
bien que celui-ci habite tranquillement à Budapest depuis
13 ans maintenant, il ne l'a découvert qu'il y a trois ans.
Comment le vieil homme a t-il fait pour rester aussi discret?
Dans son quartier, beaucoup d'habitants le connaissent. Nombre
d'entre eux estiment qu'il aurait fallu agir plus tôt et
qu'il faut désormais laisser le vieillard tranquille. Tenter
d'approcher Képiro n'est également pas chose facile... il
est protégé par ses voisins, qui n'hésitent pas à proférer
des menaces à l'encontre des étrangers qui viennent frapper
à sa porte. La est certainement le secret de la discrétion
du nazi hongrois: un retour aux sources pour mieux se fondre
dans un milieu où, 67 ans plus tard, les pratiques résistantes
sont inversées.
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