Le criminel de guerre nazi le plus recherché au monde, qui vient d'être arrêté
en Hongrie, a vécu près de 50 ans à Montréal. Grâce à des
documents inédits, dont certains sont issus d'archives judiciaires
à Ottawa, La Presse a pu retracer une partie du parcours
québécois de Laszlo Csatary. Aujourd'hui, les «chasseurs
de nazis» espèrent que leurs deux autres cibles canadiennes
n'auront pas, comme lui, la chance de s'enfuir avant d'affronter
la justice.
> Le criminel de guerre nazi Csatary «assigné à résidence»
Lorsque, en 1996, Françoise Caron
a acheté sa maison, avenue King Edward, dans le quartier
Notre-Dame-de-Grâce, elle n'en revenait pas de sa chance.
La maison n'était pas encore annoncée à vendre que déjà elle
s'était entendue sur un prix très avantageux avec le vieux
propriétaire et sa femme malade. Elle n'aurait jamais pu
deviner que le vendeur était un criminel de guerre nazi qui
s'apprêtait à fuir après avoir passé près de 50 ans à Montréal
sous une fausse identité.
«Notre agente d'immeubles disait que
c'était quelqu'un de bien. C'étaient des gens plutôt discrets,
ils étaient déjà pas mal âgés, et la dame n'était plus très
forte», raconte-t-elle.
L'homme, qui se faisait appeler ici
Ladislaus Csizsik-Csatary, était marchand d'art. Il avait
son bureau au sous-sol de la maison et y entreposait plusieurs
tableaux, que Mme Caron avait trouvés plutôt laids.
Après la transaction, elle n'a plus
entendu parler des anciens propriétaires. Jusqu'à ce que
deux hommes qui semblaient tout droit sortis du film Men
in Black, avec leurs lunettes et complets noirs, sonnent
à sa porte.
«Ils étaient de la GRC, j'imagine.
Ils cherchaient M. Csatary, mais je ne savais pas où il était»,
explique-t-elle.
Les autorités canadiennes avaient
découvert la véritable identité du marchand d'art, et elles
étaient décidées à l'expulser du pays.
Extermination massive
Selon des documents de Citoyenneté et Immigration Canada, l'homme est né en Hongrie
en 1915. Il s'appelait alors Laszlo Csatari (avec un i plutôt
qu'un y). Muni d'un diplôme de droit, celui qui se faisait
appeler «Dr Csatari» est devenu lie
utenant de police.
Pendant la Seconde Guerre mondiale,
lorsque la Hongrie, alliée de l'Allemagne, s'est mise à persécuter
les Juifs, il aurait participé à leur confinement dans des
ghettos et à leur déportation en train vers les camps d'extermination.
Des 12 000 Juifs entassés dans le camp où il travaillait,
à peine 500 ont survécu.
Vers la fin de la guerre, fuyant l'avancée
des Soviétiques, Csatari se serait réfugié avec sa famille
en Allemagne. En son absence, le «Tribunal du peuple» instauré
par les communistes en Hongrie l'a condamné à mort pour ses
crimes.
Csatari a changé son nom pour Ladislaus
Csizsik-Csatary. À partir de ce moment, disant craindre des
gens qui «l'accusaient à tort», il utilisera une foule de
variations orthographiques de ce nom.
Selon le gouvernement canadien, c'est
en se présentant faussement comme réfugiés yougoslaves que
lui, sa femme et leurs deux filles ont pu immigrer au Canada.
Des documents montrent pourtant qu'ils parlaient hongrois,
allemand et anglais, mais non les langues utilisées en Yougoslavie.
Chez Canadair
La famille arrive à Halifax en 1948
à bord du bateau Samaria et s'installe à Montréal.
Csatary, qui se fait appeler Larry,
travaille d'abord à l'usine Canadair de Montréal. Il se présente
alternativement comme coupeur de vitre, tôlier, spécialiste
automobile. Il occupe au fil du temps deux logements dans
le quartier Parc-Extension, puis un appartement rue Saint-Denis
au
coin de la rue Duluth, en face de
ce qui est aujourd'hui la boutique de chaussures Le Marcheur.
Csatary obtient la citoyenneté canadienne
en 1955. Sa situation s'améliore lorsqu'il se lance dans
l'importation et la vente d'oeuvres d'art. En 1970, il achète
sa maison dans le quartier Notre-Dame-de-Grâce. Dans les
documents notariés, il ne fait même plus semblant de s'être
marié en Yougoslavie, comme il l'avait d'abord prétendu,
mais avoue que la cérémonie a eu lieu en Hongrie en 1942.
Lorsqu'il quitte Montréal pour Toronto,
en 1996, les autorités l'ont déjà démasqué et tentent de
lui retirer sa citoyenneté. Il soutient alors que son rôle
était «limité», qu'il n'a pas participé aux déportations
et que, lorsqu'il a remis des fugitifs juifs aux Allemands,
il ignorait qu'ils allaient être tués.
Csatary quitte finalement le Canada
et disparaît pendant une quinzaine d'années.
Sa fuite a pris fin dimanche dernier.
Des journalistes du Sun de Londres l'ont retrouvé dans sa
Hongrie natale. L'affaire est maintenant entre les mains
de la justice hongroise. lapresse.ca
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