Annette Wieviorka, historienne, réagit à la localisation du criminel nazi Laszlo
Csatary en Hongrie par deux journalistes britanniques. Interview.
Laszlo Csatary est-il un personnage connu des historiens de la Shoah ?
- Je ne connais pas cet homme,
ni les conditions dans lesquelles il a été traqué. D'après
ce que je lis, il a eu la responsabilité d'un ghetto, y
a été particulièrement violent, et porte sur sa conscience
la mort de quelque 15.000 Juifs. Il a d'ailleurs été condamné
dans l'après-guerre et a réussi à se soustraire au jugement.
Ce n'est pas rien mais ce n'est pas non plus Eichmann :
nous n'avons pas affaire à quelqu'un de haut placé dans
la hiérarchie nazie, qui aurait eu une responsabilité élevée
dans la mise en œuvre de la solution finale.
Voulez-vous dire qu'il ne faut
pas exagérer l'ampleur de l'événement ?
- Je ne crois pas que cette arrestation
fasse évènement. La presse en parle du fait de cette conjonction
particulière, puisqu'on commémore les 70 ans de la rafle
du Vel' d'Hiv'. Mais Laszlo Csatary a 97 ans. Admettons
qu'il ait encore toute sa tête, il va falloir recommencer
une procédure judiciaire, ce qui peut prendre plusieurs
années. Je ne suis pas sûre que l'on arrive jusqu'à un
procès. La justice, c'est à son honneur, n'est pas expéditive.
Ce criminel finit ses jours en
Hongrie. Est-ce le signe d'une tolérance de ce pays à l'égard
des criminels nazis ?
- La Hongrie n'est pas l'Amérique
Latine. Elle ne fait pas partie des pays qui ont constitué
d'importants refuges pour les nazis après la guerre. Combien
reste-t-il de personnes comme ce monsieur ? Combien ont
échappé à la justice ? Difficile à dire. Mais on pourrait
très bien retrouver demain un criminel dans l'un des pays
qui a fourni des auxiliaires aux nazis. Je ne vois pas
de signification particulière concernant la présence de
Laszlo Czatary en Hongrie, à part celle qu'on veut bien
lui donner par rapport à la situation politique actuelle
de ce pays.
On ignore donc s'il reste beaucoup
de criminels nazis en vie ?
- Oui. Mais une chose est sûre
: nous arrivons à la fin d'une séquence, faute d'"exécuteurs" comme dirait Hilberg, faute de victimes, et même faute de traqueurs, puisque
Simon Wiesenthal n'est plus là. Personnellement, je pensais
que le procès à Munich en 2009 de John Demjanjuk, âgé de
89 ans, serait le dernier. Que c'était l'épilogue de cette
phase de traque, pour des raisons biologiques : vous ne
pouviez pas être un responsable nazi avant d'avoir 20 ans.
Et ceux qui avaient 20 ans en 1940 en ont aujourd'hui 92.
Quelle est la "séquence" suivante
?
- Il n'y a pas forcément de lien
entre un événement et la présence de contemporains. Je
ne crois évidemment pas que cette histoire puisse disparaître.
Mais elle prendra d'autres formes, par le cinéma, la littérature,
le travail des historiens, l'enseignement. Tout ce qui
fait qu'un événement du passé ne disparaît pas. Moi, j'ai
appris l'histoire de la Saint-Barthélemy à l'école. Je
ne l'ai jamais étudiée après. Mais je ne l'ai jamais oubliée. tempsreel.nouvelobs.com
|