Agé de 97 ans, Sandor Kepiro a dû répondre devant la Justice hongroise de sa
responsabilité dans un massacre de Juifs et de Serbes commis en janvier
1942 à Novi Sad. Un procès qui prouve que ni le temps ni l’âge avancé
ne permettent aux criminels de guerre d’échapper à la Justice.
Il est probable que de nombreux criminels de guerre nazis n’aient jamais éprouvé
le moindre doute en ce qui concerne la légalité des crimes qu’ils
ont commis contre les Juifs et les autres « ennemis du Reich ». Il
apparaît toutefois que ce n’est pas le cas de Sandor Kepiro, jugé
à Budapest pour sa participation à un crime de masse commis par la
gendarmerie hongroise à Novi Sad (territoire serbe annexé par la
Hongrie) le 23 janvier 1942. Lors de son premier procès en Hongrie,
en 1944, on a appris que lorsqu’il reçut l’ordre de commettre ce
massacre, le lieutenant Kepiro a demandé qu’on le lui confirme par
écrit. Ses supérieurs lui ont aussitôt indiqué que ce genre d’ordre
n’était transmis qu’oralement. Déjà juriste à l’époque, Sandor Kepiro
avait compris que les ordres en question aboutiraient au meurtre
de civils innocents et seraient par conséquent illégaux. Cela ne
l’a pourtant pas empêché de les exécuter avec zèle. Ses hommes ont
d’abord rassemblé environ 1.200 Juifs, Serbes et Roms dans un théâtre
de Novi Sad, avant de les conduire vers le Danube où ils ont été assassinés par des
gendarmes hongrois.
Non sans ironie, lors de son procès en 1944, cette
demande de confirmation écrite a été retenue comme circonstance atténuante,
ce qui a réduit sa peine à dix ans d’emprisonnement ! C’est le contraire
qui aurait dû se produire, car ce juriste intelligent et cultivé
a bien saisi la nature illégale de l’opération qu’on lui demandait
d’accomplir ainsi que ses conséquences désastreuses. Malgré cela,
il a choisi d’exécuter les ordres. C’est la raison pour laquelle
son procès est à ce point important, tout particulièrement en Hongrie,
où les collaborateurs nazis locaux ont joué un rôle majeur dans la
mise en œuvre de la Solution finale, et ce même avant que ne débute
l’occupation de ce pays par l’Allemagne nazie en mars 1944. Alors
que l’historiographie se focalise sur les déportations massives de
437.000 Juifs hongrois vers Auschwitz-Birkenau, durant le printemps
et l’été 1944, déportations auxquelles a participé activement la
gendarmerie hongroise, la Hongrie porte également la responsabilité
de l’extermination en Ukraine de quelque 16.000 à 18.000 Juifs étrangers vivant sur le territoire
hongrois. Sans oublier les milliers de Juifs tués dans des bataillions
de travaux forcés et tous ceux assassinés à Novi Sad et ses environs
en janvier 1942.
La vieillesse n'efface rien
En dépit de ce triste record, Sandor Kepiro est pourtant
le premier collaborateur nazi à être poursuivi par la Justice de
la Hongrie démocratique. A l’instar de nombreux pays d’Europe orientale,
la Hongrie a traduit en justice de nombreux criminels de guerre dans
l’immédiat après-guerre. Mais depuis la chute du rideau de fer, ce
pays n’a fait aucun effort pour rechercher les collaborateurs ayant
échappé à la Justice en fuyant à l’Ouest. Le cas de Kepiro illustre
parfaitement ce phénomène : après sa fuite vers l’Autriche, il trouve
refuge en Argentine où il vit jusqu’à son retour en Hongrie en 1996.
Avant de revenir dans son pays natal, il a pris soin de vérifier
à l’ambassade de Hongrie à Buenos Aires si aucun obstacle légal ne
s’opposait à son retour. Le feu vert accordé par les autorités hongroises
prouve le peu d’intérêt que la Hongrie manifestait à l’égard de ce
criminel. Les choses changent en 2006, lorsque nous (le Centre Wiesenthal)
découvrons qu’il vit à Buda, juste en face d’une synagogue, et que
nous apportons les preuves de sa participation au massacre de Novi Sad. Cela nous
prendra quatre longues années pour convaincre les autorités hongroises
de le poursuivre.
En demandant à la Hongrie que Sandor Kepiro réponde
de ses crimes devant la Justice, nous avons réussi à adresser un
message fondamental : le temps n’a pas pour effet d’atténuer la culpabilité
des meurtriers, et la vieillesse ne les protège en rien. En aidant
à identifier et à faciliter la poursuite de tels criminels, le Centre
Wiesenthal remplit ses obligations envers les victimes des nazis
et honore leur mémoire. Ceux qui ont fait du mal au peuple juif doivent
savoir que nous n’avons pas la mémoire courte et que nous n’oublierons
jamais nos martyrs.*
Historien israélien d’origine américaine, Ephraïm
Zuroff dirige le bureau israélien du Centre Simon Wiesenthal. Il
y coordonne également les recherches des criminels nazis au niveau
mondial. En 2008, il a publié Chasseur de nazis (Michel Lafon éd.).
* Le tribunal devait rendre son verdict le 3 juin
2011, après le bouclage de notre numéro.
cclj.be
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